Séminaire sur le non-religieux – Johannes Quack : « non religion reconsidered » – Jeudi 30 juin 2022

Cher.es collègues,

Nous avons le plaisir d'accueillir pour la septième séance du séminaire sur le non-religieux Johannes Quack (Université de Zurich) pour une présentation intitulée "non religion reconsidered". Sa communication sera discutée par Philippe Portier (GSRL/EPHE).

 

Le séminaire aura lieu le 30 juin 2022 de 10h à 12h, uniquement en distanciel (et non sous forme hybride comme annoncé précédemment), via le lien :

 

https://cnrs.zoom.us/j/93021201346pwd=bmZiQzUwcEpzVmY4ODNRMjV0T1B4Zz09

 

Pour plus d'information sur cette séance et pour des actualités scientifiques sur le non-religieux, consultez le carnet de recherche dédié : https://nonreligieux.hypotheses.org/

 

Bien à vous toutes et tous,

Anne Lancien (Sciences po/CERI - GSRL/EPHE) et Anne-Laure Zwilling (DRES/CNRS/Université de Strasbourg).

 

 

Intervenant :


Johannes Quack is Professor of Anthropology at the University of Zurich. His main publications include Disenchanting India: Organized Rationalism and Criticism of Religion in India (OUP, New York 2012), Religion und Kritik in der Moderne (LIT, Münster 2012), Outline of a Relational Approach to ‘Nonreligion’(MTSR 2014) Religious Indifference: New Perspectives From Studies on Secularization and Non-religion (Springer, Berlin 2017) and The Diversity of Nonreligion: Contested Normativities and Relations (Routledge, Abingdon 2020)

Philippe Portier est premier Vice-président chargé des compétences transversales en charge de Campus Condorcet et des relations internationales de l’ École pratique des hautes études, directeur du GSRL (jusqu’en 2019), directeur d’études à l’École pratique des hautes études, titulaire de la Chaire « Histoire et sociologie des laïcités ».Il est également professeur à Sciences Po Paris, et codirecteur de l’observatoire international du religieux. Ses thèmes de recherche sont Régimes de laïcité ; sécularisation et pluralisation religieuse dans l’aire euraméricaine ; religion et politique ; catholicisme et politique ; philosophie politique et religion ; éthique, religion et politique.

 

 

Argumentaire du séminaire :


Les sciences sociales, depuis Comte, Marx, Durkheim et Weber, ont appréhendé le monde à travers le prisme du paradigme de la sécularisation. Le recul du religieux était présenté comme inéluctable face à la modernisation des sociétés, les religions perdant en influence dans la sphère publique et relevant désormais exclusivement de la sphère privée. Ce paradigme est remis en cause à partir de la fin du XXe à la faveur d’une résurgence du religieux : poids du protestantisme évangélique aux États-Unis, diffusion de l’islamisme, montée du nationalisme religieux (Inde ou Israël par exemple), vitalité des mouvements orthodoxes, guerres de religion, etc. Les sciences sociales se sont progressivement emparées de cette évolution, certains auteurs tels Peter Berger évoquant même une « désécularisation[1] » du monde. La religion réintègre l’espace public, les croyants revendiquent la reconnaissance institutionnelle et juridique de leur appartenance confessionnelle.


Cependant, les études scientifiques se sont focalisées sur cette seule tension entre sécularisation et religion ; elles ont omis un facteur déterminant à la compréhension de nos sociétés contemporaines : la non-religion. En effet, selon l’étude menée par le Pew Research Center[2], les non-affiliés représentent désormais 20% de la population européenne, nord-américaine et d’Asie-Pacifique (respectivement 20%, 19,2% et 20%), les autres régions du monde étant moins concernées par ce phénomène. Selon la même enquête, 28% de la population française s’estime non-affiliée ; entre 2005 et 2010, le nombre de personnes se déclarant appartenir à une religion a décru de 21 points[3].

 

La non-religion ne peut être superposée au processus de sécularisation ; il ne s’agit pas de s’intéresser au retrait du religieux de la sphère publique en tant que tel, mais davantage à la quête de sens d’individus qui se détachent du religieux, qui rompent avec toute appartenance confessionnelle. La sécularisation du monde n’a pas impliqué un vide axiologique ; à l’inverse, le retour du religieux n’est pas synonyme d’une foi embrassant de nouveau l’ensemble de l’espace politique et social. Dans un espace intermédiaire évoluent et progressent même tout un ensemble de courants dont les fondements se distinguent de ceux avancés par les confessions. S’il est possible de trouver des similitudes entre non-affiliés (ce sont en général des hommes, jeunes, globalement éduqués, issus de classes sociales supérieures), nombre de divergences traversent ce courant, à l’exemple du rapport au divin : en Grande-Bretagne, seules 38% des personnes qui s’identifient comme non-religieuses déclarent ne pas croire en Dieu ; 27% sont agnostiques. A l’inverse, 65% des incroyants déclarent avoir tendance à croire en Dieu et 16% croient en une sorte de transcendance[4]. Le rapport au religieux institutionnel varie également au sein de la catégorie des non-religieux, de l’indifférence au militantisme actif. Les caractéristiques des non-affiliés varient selon le milieu culturel dans lequel ils évoluent, leurs pratiques diffèrent entre logiques individuelles et réticulaires, etc.

 

Or, ce n’est que depuis une quinzaine d’années que les sciences sociales se sont emparées de l’objet « non-religieux »[5]. Charles Taylor a abordé la question dans son ouvrage sur l’Âge séculier[6], de même que Philippe Portier et Jean-Paul Willaime dans leur publication La religion dans la France contemporaine. Entre sécularisation et recomposition[7]. Anne-Laure Zwilling et Pierre Bréchon ont dirigé plusieurs travaux sur la question, notamment Indifférence religieuse ou athéisme militant ? Penser l’irreligion aujourd’hui[8]. A l’échelle européenne, les recherches menées sur la thématique sont également très récentes, avec les études menées par Johannes Quack, Lori Beaman ou Lois Lee[9] qui font encore figure d’exception. Or ce peu d’intérêt ou ces développements très récents de la thématique rendent celle-ci particulièrement stimulante tant elle ouvre de chantiers de recherche et suggère de problématiques : le non-religieux peut-il s’appréhender indépendamment du religieux ou ne s’est-il construit qu’en réponse à celui-ci ? Non-religion et religion fonctionnent-elles en concurrence dans le débat public ? Quels sont les fondements axiologiques de ces courants ? Quelle est leur influence tant sociale que politique et normative ? D’un point de vue plus méthodologique, quels outils utiliser pour l’étude du non-religieux ? Une simple reprise des méthodes de la sociologie des religions peut-elle suffire ? Quelle terminologie adopter, entre non-religion, areligion, irreligion, non-affiliation, etc. ?

 

L’ambition de ce séminaire n’est pas de répondre à l’ensemble de ces problématiques. Il vise à analyser plus spécifiquement trois questionnements soulevés par le non-religieux : le premier concerne les débats théoriques et terminologiques autour de ce concept ; la deuxième porte sur la philosophie, les normes et valeurs de la non-religion ; le troisième s’intéresse à l’impact des contextes culturels et confessionnels sur le non-religieux. Les neuf séances de ce séminaire s’articuleront autour de ces thématiques.

 

Ce séminaire a vocation à être prolongé par un colloque des postdoctorants du GSRL, organisé sur la thématique de la non-religion ou, plus largement, sur celle des systèmes de croyances/systèmes de vérité. Il se déroulera au début de l’année 2023.

 

 

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[1] D’après le titre de son ouvrage The Desecularization of the World, Resurgent Religion and World Politics, Grand Rapids, Eerdmans, 1999. Notons que Peter Berger est en réalité plus nuancé que ne le laisse suggérer ce titre. Plus que d’évoquer une désécularisation stricto sensu, l’auteur considère que le religieux n’a jamais véritablement disparu de la sphère publique.

[2] Étude menée en 2015. Les chiffres présentés sont des estimations du Pew Research Center pour 2020 [En ligne] https://www.pewforum.org/2015/04/02/religious-projection-table/2020/percent/all/

[3] D’après un sondage Gallup réalisé en 2012. [En ligne] https://www.redcresearch.ie/wp-content/uploads/2015/10/RED-C-press-release-Religion-and-Atheism-25-7-12.pdf

[4] D’après Lois Lee, « Factsheet: the nonreligious », réalisée pour le site Religion media center. [En ligne] : https://religionmediacentre.org.uk/factsheets/the-nonreligious/

[5] Nous pouvons citer l’ouvrage de Colin Campbell, Towards a sociology of irreligion, publié en 1971 ; celui de François-André Isambert, De la religion à l’éthique, publié en 1992.

[6] Charles Taylor, A Secular Age, Harvard University Press, 2007.

[7] Philippe Portier et Jean-Paul Willaime, La religion dans la France contemporaine. Entre sécularisation et recomposition, Armand Colin, 2021.

[8] Pierre Bréchon et Anne-Laure Zwilling (dir.), Indifférence religieuse ou athéisme militant ? penser l’irreligion aujourd’hui, Presses universitaires de Grenoble, 2017.

[9] Lois Lee, Recognizing the Non-religious: Reimagining the Secular. Oxford University Press, 2015. Lori G. Beaman, Steven Tomlins, Atheist Identities – Spaces and Social Contexts, Springer, 2015. Johannes Quack, Religious Indifference: New Perspectives From Studies on Secularization and Non-religion, Springer, 2017.

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